Liberté et libéralisme
L'appât du gain (rapine), la tarification des
rapports humains (prostitution) existe depuis l'aube de l'humanité. Ils
ont précédé l'écriture, ils sont probablement antérieurs à
l'agriculture. Le libéralisme, esprit d'entreprise exempt de toute
morale et de toutes contraintes collectives existe donc depuis la
naissance de la société. Il n'a cependant été théorisé qu'au 19e, le
siècle de toutes les doctrines. Il se voulait en matière économique ce
que les Lumières du siècle passé étaient à la politique et à la morale.
"Mehr Licht" proclamaient les philosophes du 18e, "mehr Geld"
réclamèrent leurs successeurs libéraux. Ils voulaient combattre les
dernières pesanteurs féodales qui étranglaient l'économie. C'était
l'aboutissement du cycle des révolutions bourgeoises, le monde des
marchands supplantait celui du clerc et du chevalier. Une aristocratie
était morte, une autre faisait son nid dans sa dépouille. La race
ouvrière et paysanne, elle, demeurait opprimée. Le libéralisme peut-il
alors être le volet économique de la Liberté ? Tout Etat socialiste
est-il condamné à étouffer les libertés individuelles (innovation,
propriété...) pour assurer la justice sociale ? En bref, le libéralisme
est-il une fatalité de l'état libertaire ?
Les états se
réclamant du socialisme marxiste n'ont pas pu ou pas voulu assurer ses
libertés personnelles. Les divers exemples de "socialisme fasciste" ont
été rongés par la réaction au niveau politique et étouffés par le
capitalisme sur le plan économique. C'est que l'oligarchie libérale
fonde son pouvoir sur la concentration dans le secteur privé des moyens
de production. Sa participation politique n'a comme seul but de
favoriser son œuvre économique. En méprisant l'économie, en menant des
révolutions purement politiques, les fascismes ont frôlé le Capital
sans le toucher. Les années 20/30 ont bénéficié, et j'utilise ce mot
sans guillemet, de millions de chômeurs qui n'avaient d'autres choix
que d'investir le champ politique pour améliorer leur condition. Notre
drame actuel est que le libéralisme sait désormais qu'il faut maintenir
le Peuple dans une activité fébrile pour assurer la paix civile.
L'inactivité engendre la réflexion, la réflexion provoque la colère et
ça le Système l'a compris...
L'homme n'est pas libre quand il
passe 75% de son temps à gagner le pain et le logis. L'homme n'est pas
libre quand il rentre chez lui abruti par le travail, incapable du
moindre effort intellectuel. On est pas libre quand demain demeure une
incertitude... Certains, généralement des individus bien nés,
reprochent à nos contemporains d'être atones face à la misère de
l'Europe et du monde. Comment vivre pour les autres quand on peine à
vivre pour soi ?
Je ne voudrais pas que mon propos passe
pour un éloge de l'oisiveté. Le travail est un devoir et un bienfait, à
condition qu'il ne devienne un asservissement. Le fruit du travail doit
nourrir la collectivité et pas engraisser l'actionnaire comme on couvre
de feuilles d'or le ventre des bouddhas. Il faut un Etat et il faut que
celui-ci soit exigeant. Seul l'Etat garantit la sécurité, préalable
indispensable à la Liberté. Encore faut-il que l'Etat se confonde avec
le peuple, là est la démocratie, là est la Liberté. Anarchisme et
libéralisme se retrouvent dans leur critique de l'Etat. L'anarchie
c'est le libéralisme des hommes parfaits, c'est un capitalisme pour
individus purement moraux.
Stephan Zweig reprochait à la
bourgeoisie allemande d'avoir négliger le volet moral du libéralisme,
conduisant celle-ci au nazisme. Le libéralisme garantit en théorie la
Liberté, mais n'assure pas les conditions pour l'exercer. Garantir la
Liberté, c'est d'abord garantir à l'homme qu'il n'aura pas besoin de se
battre pour manger et dormir. Quand le travail sera un épanouissement
et plus une contrainte, les usines, les bureaux, les écoles deviendront
nos cathédrales. Là est la Liberté, là est l'Europe et le monde que
nous voulons...
Thomas Demada